"Le noir et le blanc"

D’abord le noir. Le froid, la peur, le désespoir. Puis, comme un mirage, une lumière. Une infime lueur, comme un leurre. Une étoile qui s’étiole, qui scintille, faiblement. Puis, comme un miracle, une chimère. Une intime douceur, qui m’effleure. Un halo qui me hale, m’enveloppe et m’envole. Volupté.


Blanc paradis. L’émoi, l’ardeur, le doux blizzard. Tout est neige, tout est d’or.


Au loin les flamants, impériaux, s’enfuient en silence. Les parures de plumes, dont la pluie délicate me frôle et me caresse, esquissent un éclair argenté sur le rose horizon. Les armures de brume les aspirent peu à peu, emportant avec elles leurs parfums éphémères. Il ne reste que le ciel et moi, cette blême aquarelle, nébuleuse et feutrée, cette voile lactée qui s’enfle vers l’infini. Vertige.

Un murmure. Un souffle dans l’aphasie, comme un sursaut dans cette quiétude étourdissante, comme une missive transperçant l’écume. Je baisse les yeux. C’est un ruisseau qui, furtif, fragile, limpide et paisible, glisse sur le sol lisse. Je découvre alors avec émerveillement une cathédrale végétale, dont la luxuriance se dresse telle une offrande à ce ciel, si vierge, si pur. Ici bas, plus de neige, plus de blanc. Les fruits aux mille éclats resplendissent de leurs couleurs de crépuscule. Les fleurs, noires narcisses, se livrent à une joute en arc-en-ciel, rivalisant de pétales écarlates, de reflets mordorés. D’imposants saules, majestueux, se penchent avec affection sur ces enfantillages, et arrosent l’arène rutilante de leurs pleurs de rosée.

Je progresse dans cette fresque sang et or, guidé par le murmure de l’eau, et chaque pas se ponctue de nouvelles sensations. Mon esprit, déjà exalté par tant de couleurs, se laisse ainsi envoûté par d’étranges fragrances, que l’inouïe nature exhale avec délectation. Une multitude de parfums s’offrent à moi, qui sont autant d’appels à l’abandon de mon être, au creux d’un tel paradis tropical. L’apaisante odeur de terre humide, les subtiles effluves des pollens, les arômes ensoleillés des fruits… Les alizés tourbillonnant m’enivrent des plus séduisantes senteurs. Mais le chuchotis incessant de l’eau m’enlève à ces prodiges, ces sortilèges dont use l’ingénue nature pour me retenir. Je reprends donc ma progression le long du ruisseau.

Mais bientôt, son doux murmure se fait fracas. La faible rivière se fait un torrent qui roule de plus en plus vite, qui gronde de plus en plus fort. Sa folle course s’interrompt, soudain, alors que je parviens aux rives évasées d’un immense lac. L’eau s’y repose jusqu’à l’horizon. De blancs nénuphars y demeurent par millions, paisibles. L’astre pourpre se dévoile un instant, et se reflète à l’infini sur cette étendue de merveille, tandis que les mille éclats couleur vermeille en font un rubis en fusion. Magie.

Un battement d’aile rompt cette fascination silencieuse. Les roses plumes sont venues se poser. L’eau frémit et l’onde se propage, soulevant à son passage les fragiles palais flottants. Les flamants restent ainsi, chimères pleines de grâce dans leur fixité calme. Je m’approche lentement en fermant les yeux, tant leurs apparats de grenat m’éblouissent. Mais alors que je les sens tout près, délicieusement guidé par leurs parfums de tropiques, je les entends s’envoler, et déjà leur pluie me frôle et me caresse. J’y étais presque.


Je rouvre les yeux. Il pleut averse, le noir m’agresse.
Toujours le noir. Le froid, la peur, le désespoir.
Ce n’était qu’un rêve, ce n’était que mon imagination.
Ce n’était qu’une trêve dans une vie d’abominations.