"le saut le l'ange"

Chacun de nous l’a ressenti un jour.
Le piédestal de cristal depuis lequel nous scrutions nos pareils se fissure, brusquement.
On tombe de haut. On regarde bien plus bas.
Et dans notre chute, se profile au fur et à mesure une sombre certitude, pleine de mélancolie. Mais ce n’est pourtant qu’au moment de s’écraser au sol, lamentablement, que l’on se résigne enfin. Cette vérité nous explose alors à la face, sans prévenir : Je ne suis pas différent. Cinq mots si brefs, cinq mots si durs.

Ainsi se languit l’ange déchu, qui n’a su déployer ses blanches ailes assez vite, assez haut, assez fort pour regagner la lumière.
Je ne suis pas différend, je ne suis qu’un homme, parmi la multitude, je ne suis qu’un être, perdu dans la masse, je ne suis plus rien, au creux de l’abîme. Telle est alors la lamentation de l’ange, qui se morfond et s’écroule sous la houle de sa passion.
Et son cœur se serre, inexorablement. Sans vaine effusion, sans sanglot inutile, sans autre expression que son regard, triste, sobrement fixé vers l’horizon. Sombre horizon.

Et dans tes yeux, petit ange, se dessine la lucidité. Dans tes larmes, ange déchu, se noierait la naïveté.
Mais tu gardes tes pleurs et tu contiens ta peine, car tu gardes en ton cœur l’indicible arrogance. Ce mirage insensé aux parfums de narcisse, que tes ailes orgueilleuses t’élèvent jusqu’au ciel. Jusqu’au dessus des ces autres que tu laisses indifférents, au dessus de ces autres dont tu te sais bien différent.
Alors envole toi, petit ange, et vole vers l’azur de ta destinée, fort de cette certitude qui seule donnera un sens à ta vie: Je suis unique. Jusqu’à ce que, une fois de plus, le doute surgisse et t’envahisse pour te plonger vers une plus sombre vérité…

Oui, chacun de nous a, au moins une fois dans sa vie, l’impression de n’être qu’un grain de sable dans un désert de morosité, qu’une étoile dans l’océan de la voie lactée.
Oui, chacun de nous se sent parfois privé de ses ailes, et laisse alors le vertige de la chute l’engloutir.
Mais l’ange en nous sèche toujours les larmes, et regonfle d’orgueil notre cœur, si friand de flatteries, que l’on en oublie le deuil de notre différence, pour reprendre le chemin de notre vie.