Le Dernier Regard

Le Dernier Regard

C'est un texte dans la lancée de L'Anonyme des Trains. Ceci est le dernier jour des deux personnes, mais elles ne se sont toujours pas parlés....

Rien. C’était clair. Elle n’avait pas assez de volonté pour réussir ce qu’elle voulait. Quand une de ses envies lui demandait une certaine maîtrise de soi, elle n’en voyait pas la fin.
Un de ses désirs aurait été de pouvoir converser librement et amicalement avec ce garçon qui la fascinait tant. Mais pour cela, il aurait fallu vaincre sa timidité et sa fierté distante.

*
* *

Cette année s’était écoulée au rythme des battements de son cœur, et il allait bientôt passer son bac. Aujourd’hui était le dernier jour pour les secondes, et il savait qu’elle était en seconde. C’était donc la dernière fois qu’il la verrait. Il avait surpris une conversation au cours de laquelle il avait appris qu’elle s’engageait en série ES. Lui avait préféré la série L. Le sentiment d’urgence l’envahit de nouveau : c’était la dernière fois… La dernière… Il monta en voiture et son cœur se serra lorsqu’elle démarra et qu’il se sentit inexorablement emporté vers une rencontre qu’il redoutait.

*
* *

Elle claqua la porte et sortit précipitamment la cour, son sac beige sur l’épaule. Elle était en avance mais ne ralentit pas pour autant. Elle était en proie au stress : ce matin était le dernier de l’année où elle prendrait ce train, le dernier où elle verrait le beau garçon, sa dernière chance de parler, d’échanger davantage que des mots anonymes, et son prénom. Elle savait au fond d’elle-même que le dernier regard sur ce doux visage resterait à jamais gravé dans sa mémoire, et dans son cœur. En arrivant à la gare, elle se dirigea résolument vers les quais.

*
* *

La voiture ralentit. Il embrassa son père et fonça en trombe vers le souterrain. Il avait jeté un bref coup d’œil à l’entrée, elle n’y était pas. Son cœur battit plus fort.
Il s’arrêta au pied de l’escalier menant à la voie pour calmer les battements de son cœur, puis, quand il fût plus ou moins bien parvenu, il gravit une à une les marches. Il ferma les yeux avant de poser le pied sur les premiers pavés et espéra avec force : il est vrai qu’il ne l’avait guère vu ces derniers temps…
Il ouvrit les yeux et aperçut la timide silhouette sous l’abri de verre. Un sourire radieux vint l’illuminer son visage.

*
* *

Elle le vit arriver et son cœur bondit dans sa poitrine lorsqu’elle vit ce sublime sourire sur le visage fin du garçon. Souriait-il parce qu’il savait qu’aujourd’hui était la dernière fois qu’il la voyait ? Souriait-il par joie de la revoir ce matin, elle qui avait pris le train précédent, plusieurs jours, pour se changer les idées ?
Elle le regarda s’arrêter à mi-chemin, avec ce sourire superbe, s’adosser à la pancarte « Mézidon » puis offrir son visage à la brise fraîche qui joua dans ses cheveux ondulés. A ce moment, il prit une profonde inspiration, comme pour se mettre en confiance

*
* *

Il n’avait d’yeux que pour elle, mais il était tellement nerveux qu’il ne pouvait articuler un mot. Il préféra garder ses distances pour l’instant, et s’appuya au dos d’une pancarte et laissa le vent détendre ses traits et jouer dans ses cheveux. Il prit une grande bouffée d’air.
On annonça le train. Il se redressa et al regarda. Il vit qu’elle n’avait pas bougé. Elle paraissait impassible, elle, qui d’habitude, jetait des regards furtifs en sa direction… S’était-elle résigné à ne plus poursuivre ses rêves ? S’était-elle améliorée dans la maîtrise de soi (ce qui expliquerait son calme en ce dernier jour) ?

*
* *

Lorsque l’annonce du train retentit elle ne put esquisser un mouvement : elle sentait son regard sur elle, et craignait que le moindre geste ne brise cet instant. Le train arriva, elle sentit le regard s’éloigner. Elle se leva et se dirigea vers la porte la plus proche. Elle savait, par expérience, qu’il prendrait la même. Elle s’assit sur une banquette à quatre places et posa son sac en face d’elle. Au même moment, il passa la porte de la voiture.

*
* *

Il jeta un regard circulaire et plein d’espoir sur les banquettes environnantes. Elle était là. Le train n’avait pas encore démarré qu’elle était déjà plongée dans un livre. Décidément, il la voyait bien en L ! Elle paraissait si … Calme ! Il s’approcha timidement, balbutia quelques paroles confuses. Il vit des larmes couler lorsqu’elle leva vers lui ses yeux. Ainsi elle était malheureuse que cela soit le dernier jour… Il eut un sourire gêné et s’assit à côté d’elle. Il sortit à un livre à son tour.

*
* *

Lorsqu’elle le vit s’approcher, elle essaya de se réfugier derrière la couverture de son livre, et d’y cacher ses larmes. Elle était secouée de sanglots depuis qu’elle l’avait vu sourire, sans vraiment savoir pourquoi. C’était la dernière fois qu’elle verrait ses traits si délicats s’illuminer de la sorte. Il vint la voir, lui demanda confusément s’il pouvait s’asseoir. Elle leva vers lui son visage mouillé, il afficha alors un sourire qu’elle trouva délicieusement empreint de gêne. Elle le laissa s’asseoir à ses côtés, il y tomba avec douceur puis il sortit un livre. Elle eut un sanglot silencieux.

*
* *

Il tentait de se concentrer sur sa lecture mais en vain, les sanglots, tous retenus qu’ils étaient, de la jeune fille lui fendaient le cœur. Il posa son livre et eut sur elle un regard tendre. Elle sanglota plus fort. Etait-ce sa présence si près d’elle qui la rendait si chagrine ? Ou la perspective de ne plus le revoir ? Peut-être était-ce des sanglots de joie ? Non, il ne pouvait pas y croire, ces sanglots déchirants n’étaient pas traducteurs de joie, non, il ne pouvait, ni ne voulait y croire.

*
* *

Elle le vit poser son livre et put discerner entre ses larmes le titre « La Peste »,mais sa vue brouillée ne pût lui permettre de lire le nom de l’auteur. Elle sentit à nouveau son regard sur elle. Elle tenta de réprimer un sanglot, sans succès, il n’en éclata que plus fort.
Avait-il pitié d’elle ? Regrettait-il de s’être assis auprès d’elle ? Se doutait-il de la vraie raison de ces pleurs ?
Elle se sentit vide soudain, sans force. Cette situation la tourmentait, plus qu’elle ne l’avait imaginé. Elle se laissa aller, mue par on ne sait quelle volonté, à poser la tête sur l’épaule de son voisin.

*
* *

Il tressaillit lorsqu’elle lâche brutalement son livre. Il en profita pour lire la couverture « Le Lion », de Joseph Kessel… Il ne put retenir un sourire, il l’avait lu, des dizaines de fois, toujours avec la même émotion. Il scruta le visage de sa voisine, il semblait vide.
Un sursaut le sortit de sa torpeur : elle avait laissé choir sa tête sur son épaule. Il regarda un moment la chevelure brune aux reflets roux qui recouvrait maintenant son épaule. Il resta un instant sans savoir quoi faire, puis il se ressaisit. Il l’entoura de ses bras avec un soupir de bien-être, puis il souffla tendrement sur les cheveux brillants qui se hasardaient sur son visage.

*
* *

Elle se blottit contre lui, lui qui lui avait offert ses bras. Elle n’avait jamais songé un seul instant à ça. La voix du contrôleur vint troubler son calme intérieur fraîchement installé en annonçant l’arrivée imminente du train en gare de Caen. Elle ne bougea pas, lui non plus.

*
* *

« Mesdames et messieurs, dans quelques instants nous arriverons en gare de Caen. Caen le terminus de ce train. Avant de descendre, assurez-vous de n’avoir rien oublié à votre place.
La SNCF et son personnel vous souhaite une bonne journée et espère que vous avez effectué un agréable voyage »
Agréable… Son trajet avait été agréable, certes, mais pourquoi fallait-il qu’il s’achève si tôt !
Terminus, c’était le bon moment. Terminus, tout le monde descend. Terminus, la fin du voyage….
Ce qu’il laissait ici n’avait pas de prix, mais personne ne pourrait le lui voler.
Il relâcha à contre-cœur son étreinte et croisa le regard désormais sec et apaisé de la jeune fille. Leurs yeux en disaient long.

*
* *

Tout c’était passé si vite ! Elle était si bien tapie au creux de ses bras ! Ils ne pouvaient rien faire de plus. Elle frôla sa main lorsqu’il se leva pour sortir. Devant la gare, elle s’arrêta et glissa sa main dans la sienne.

*
* *

Il sentit une main, sa main, caresser la sienne tandis qu’il quittait la banquette et se dirigeait vers la sortie. A la porte de la gare, il s’arrêta auprès d’elle. Il savait qu’ici était la fin de ce qui les concernait tous les deux, de ce qui les maintenait ensemble. Il lui prit la main et ils se dirigèrent vers l’arrêt de tramway.

*
* *

Arrivés à l’arrêt de tram, elle s’approcha de lui, il s’approcha d’elle, ils étreignirent chacun les mains de l’autre, puis dans un élan d’émotion et de tendresse mêlées de détresse, ils se dirent Adieu au creux d’une étreinte intense, leur ultime étreinte.

Le Dernier Regard Ensemble9im

Raaaaaah, il est trop beau ce texte, comme l'anonyme du train... Sad

je suis sincère, j'adore.